Lost in a moment [PV Eli]

Son visage était tout, et ce pour n'importe qui l'ayant déjà admiré. Son visage provoquait souvent des bagarres en tous genres, des escarmouches, des conflits. On la connaissait même comme la princesse ayant manqué de déclencher une guerre par sa simple beauté. Pour faire une histoire courte, en fait, c'est qu'il y avait deux hommes, un magicien et un démon, tous les deux de hauts rangs, qui s'étaient amourachés de la jeune femme. Si l'un n'avait pas tué l'autre et ensuite le roi fait assassiner l'autre, il y aurait eu fort à parier que les deux peuples se seraient livrés un combat sans merci. Le roi parce qu'il ne désirait voir sa fille mariée à personne de son vivant, le magicien et le démon pour les mêmes raisons, mais après avoir adressé seulement une révérence à la douce et charmante Xenaeve. À cause de ce genre d'histoires, son père ne l'autorisait à sortir que si elle était accompagnée de gardes choisis par ses soins. Bien sûr, elle sortait souvent sans eux, trouvant mille et une façons de tromper leur vigilance, mais aujourd'hui, elle n'y était pas parvenue. Et elle avait rendez-vous avec Arikael, qui devait lui porter de nouveaux livres. Il était revenu de voyage la veille et avait, comme d'habitude, envoyé son oiseau cogner à la vitre de la princesse. Elle connaissait le message : Demain, dans la cohue de la place du marché, rejoins-moi, j'ai quelque chose pour toi. Elle avait été très excitée à l'idée de revoir son ami et de se procurer de nouveaux livres. Mais il avait fallu que les gardes la surprennent en pleins préparatifs de départ et l'empêchent de prendre la route. Elle n'avait jamais manqué un seul rendez-vous avec Arikael, elle était toujours fidèle au poste.

-Où allez-vous, princesse ? lui avait-on demandé.

La réponse avait mis quelques secondes à lui venir, puis elle avait répondu qu'elle désirait se rendre au Temple de la Corruption, pour un hommage à son cousin éloigné qui était mort quelques semaines plus tôt. C'était une chance qu'elle s'en soit souvenu, car ce cousin était si éloigné qu'elle ne lui avait adressé la parole qu'une seule fois. Résultat, en tout cas, les trois gros malabars s'étaient dépêchés autour d'elle pour lui tenir compagnie et l'escorter à destination en toute sécurité et, quand ils lui avaient demandé si elle avait compté partir sans eux, elle les rassura avec un sourire : non, bien sûr. Elle serait allée les prévenir de son départ. Le sourire eut l'effet escompté ; ils ne dirent plus un mot là-dessus.

Toutefois, maintenant qu'elle était au temple devant la petite pierre portant le nom et son cousin ainsi que ses armoiries, elle se demandait quel genre de miracle pourrait bien lui sauver la mise et, du fait même, son rendez-vous. Elle sentait des trous dans son dos, là où les yeux de ses gardes du corps étaient fixés. Elle soupira avec bruit. L'un d'eux dut l'interpréter comme du chagrin, car il s'approcha et lui tapota doucement l'épaule. Elle savait que si son père apprenait ce simple contact, il ferait tuer l'homme. Bien sûr, elle n'avait aucune idée de faire perdre quoi que ce soit à cet homme. Il était gentil, zélé, mais gentil dans sa rudesse. C'était un homme bourru, mais c'était le garde qu'elle appréciait le plus. Il retourna aux côtés de ses collègues et le silence revint un moment.

Xenaeve était presque réellement en train de méditer sur le sort de son cousin lorsqu'elle sentit une certaine agitation derrière elle, synonyme que quelqu'un venait de pénétrer les lieux, ce qui, pour des hommes censés la protéger, était un évènement choquant. Surtout qu'il ne s'agissait pas d'un démon.

La jeune démone écouta d'une oreille discrète la discussion à sens unique qui avait lieu juste derrière elle. À sens unique parce qu'il n'y avait que la fée qui discourait. Une fée… Elle n'en avait jamais vue que dans les livres. Elle se demandait de quoi ces créatures pouvaient bien avoir l'air, en réalité. Ressemblaient-elles aux récits que l'on en faisait ? Elle soupira : cela importait peu. Elle devait se concentrer sur une façon de fausser compagnie à Nhamar et à Itssah. Mais ces deux là étaient on ne peut plus collants, quand ils s'y mettaient. Et à voir comme ils traitaient la visiteuse – armés de leur silence hautain et grave – ils étaient particulièrement en forme aujourd'hui. Elle poussa un soupire et se leva. Occupés qu'ils l'étaient, ils ne lui lancèrent pas même un regard. Ils se trouvaient entre elle et la fée, la dissimulant à sa vue. Mais elle pouvait fort probablement s'esquiver par un autre chemin, profitant de cette distraction inattendue.

Mais alors qu'elle marchait sur la pointe des pieds en direction des colonnes à l'arrière du temple, sa curiosité prit le dessus sur sa volonté de se rendre au lieu du rendez-vous. Elle voulait voir cette fée. Et aussi, elle ne souhaitait pas que du mal lui arrive simplement parce qu'elle avait respiré le même air que la princesse. Xenaeve rebroussa donc chemin et, tout aussi doucement qu'elle s'apprêtait à partir, elle vint s'installer entre Nhamar et Itssah. Elle leur posa à chacun une main sur l'avant bras, comme ils s'apprêtaient – elle le sentait – à s'en prendre à cet être féérique.

Lorsqu'elle posa les yeux sur la fée, Xenaeve fut saisie. Ce n'était pas qu'elle fut particulièrement belle – bien qu'elle la trouvât fort jolie – mais cette aura lumineuse, qu'elle dégageait, la rendait attirante, comme une étoile dans un rêve, vers laquelle on lève la main pour tenter de la toucher, et qui recule toujours, tel un mirage. La princesse secoua la tête comme elle réalisa qu'elle avait amorcé un mouvement pour tendre la main vers la fée, et la remit à sa place, sur la bras droit d'Itssah. Elle sourit avec douceur.

-Excusez mes compagnons. Si les fées sont un peuple pacifique, je ne peux toutefois pas en dire autant de mes semblables. Messieurs, excusez-vous de votre conduite. Vous devriez être flattée que quelqu'un, n'étant même pas démon, se soucie de notre histoire et de nos morts !

Les deux colosses encadrant la princesse inclinèrent le buste à la demande de Xenaeve et reculèrent, créant un espace de dialogue pour les deux femmes. Ils se trouvaient à deux mètres d'elle, et elle savait que cette distance ne grandirait ou ne rétrécirait jamais, peu importe ses mouvements à elle. Elle conserva son sourire gracieux pour la fée, les yeux pétillants d'excitation. Les fées étaient encore plus belles que ce qu'elle avait imaginé. Toutefois, elle croyait qu'elles étaient toutes de taille à se tenir dans sa main. Visiblement, ce n'était pas le cas. Elle baissa les yeux vers les fleurs sur le sol. Les fleurs de cette teinte étaient extrêmement rares, dans la région. Les fleurs, tout simplement, étaient rares en Ygrath, tant même que l'on ne les coupait jamais pour les offrir aux morts. L'on préférait les hommages silencieux, sans artifice. Mais étrangement, Xenaeve se sentie émue par les couleurs éclatantes de ce bouquet. Elle en resta muette quelques instants. Elle se ressaisit toutefois, quelques secondes plus tard, ramenant son regard vers la fée.

-Excusez mon manque de manières, dit-elle en inclinant dignement la tête, comme on le lui avait montré dans la royauté. Je suis Xenaeve d'Ygrath, fille de Soberael et de d'Izerael. À qui ai-je l'honneur de m'adresser ?

Ce n'était pas le salut traditionnel d'Ygrath. En fait, avec le temps, Xenaeve avait cessé de l'utiliser, trouvant qu'il manquait d'éclat. Elle privilégiait celui de l'ère passée du Ghealdan, l'ancien salut. Lui, était beaucoup mieux.