Deux déchus[PV Kali]

-Nous sommes bien découragés de votre humeur maussade, Aedael. Cale nous occasionne des maux d’estomac plutôt déplaisants qu’il faudrait mieux éviter.

-Alors nous devrions épouser une attitude agréable et joyeuse pour nos estomacs meurtris.

Drakar, le petit Dragon, siffla d’indignation à la moquerie de son compagnon et préféra ne point ajouter de commentaire tandis qu’il redressait fièrement sa petite tête de la grosseur d’un pouce tout en ignorant superbement le ricanement d’Aedael. Ce dernier, une cape rejeté sur ses épaules et couvrant autant son visage par sa large capuche profonde que son corps musculeux. Les citoyens, sur son passage, lui dardèrent un coup d’œil désintéressé, une telle vision leur était tellement familière qu’ils ne se questionnèrent point sur l’identité réelle de cet étranger. Aedael n’aimait pas la texture rugueuse et rêche de cette cape qu’il avait volée quelque part dans une autre cité; il aimait la soie, le satin, tout tissu doux et soyeux. Mais il était douteux de croiser dans une rue bondée un individu affublé d’une cape luxuriante appartenant à un empereur. Alors, Aedael devait se sacrifier afin de ne pas trop attirer l’attention sur lui.

-Pourquoi sommes-nous venus ici ? demande le petit Dragon qui s’agrippait à l’une des épaules de l’ange déchu, les griffes acérées plantées dans sa chair.

-Nous devons retrouver quelqu’un dans une auberge et l’abattre pour service rendu.

-Oh…Encore une auberge ? Allons-nous titiller les prostituées une fois de plus, mon bon Aedael.

Ce dernier, amusé, esquissa un sourire railleur comme si l’idée lui avait souvent traversé l’esprit. Mais il ne dit mot de tout ceci et expliqua avec chagrin qu’il se devait d’être pur et chaste pour cette entreprise, car son principal objectif n’était évidemment pas de s’épancher de sa soif, mais plutôt de remplir un contrat. Malgré cela, il se permit de bifurquer en direction d’une auberge réputée pour son eau-de-vie excellente tout en échafaudant minutieusement un plan infaillible. C’est pourquoi il longeait lentement des routes pavées en direction de la Taverne d’Ale des Géants où la boisson était bonne et les filles jolies. L’une d’elle appréciée particulièrement Aedael et ce dernier éprouvait les mêmes sentiments. C’était une jeune femme âgée de dix-huit ans, habile de ses mains et de sa bouche, experte des mouvements du bassin et du chant vocal en plus d’une souplesse franchement émoustillante pour quiconque qui la contemplait danser ou faire…autre chose.

Aedael sourit pour lui-même tout en s’admonestant de ses pensées effrontées et dépravées. Il arriva enfin à la taverne tant réputée, franchit le seuil gardé par deux hommes robustes et imposants au regard farouche, puis accepta l’offre de l’aubergiste, une chambre pour quelques nuits, des femmes et de l’alcool à profusion. Drakar, dans la capuche, soupira et insulta son compagnon en employant des termes colorés.

Dès son entrée, Aedael se vit offrir des offres toutes alléchantes par des serveuses aux jupes retroussées, au corsage délaissé et à la chemise échancrée. Puis, sa résolution de ne toucher à personne se fondit devant la belle Jasma qui empoigna son poignet et le tira dans une chambre à l’étage. Drakar lui, s’étendit sur une table de la salle commune et reçut des caresses de toutes les femmes présentes dans la pièce. Il ronronnait de plaisir.

Le soir venu, vidé et à moitié lucide, Aedael, avec Drakar, décida d’aller se promener afin de connaître les lieux en détail avant d’accomplir sa mission. Il arpenta des avenues, des sentiers plus étroits, pénétra dans des tavernes, but et coucha avec de jeunes femmes, emprunta des ruelles sombres et sinistres, silencieuses et puantes.

C’est par ailleurs dans une ruelle qu’il découvrit qu’il n’était pas seul.

Kali fixait le petit papier de qualité sur lequel était écrit à l’encre noire d’une main fine « Aedael, ange déchus, longs cheveux noirs, carrure imposante, dimanche 13 juillet à l’Ale Des Géants. ». L’ange déchus eût un petit rire d’exaspération.

-Ils me croient vraiment débutante à ce point ? Dit-elle à elle-même. Ils me croient nouvelle à ce monde au point de ne pas connaître le Ô combien célèbre Aedael, celui ayant abusé de la femme de son frère avant de le tuer cruellement !

La jeune fille eût à nouveau un petit rictus. Si seulement elle avait crût ne serais-ce qu’un seul mot de cette histoire idiote que l’on racontait aux enfants pour les forcer à adhérer à un code de conduite dépassé et irréaliste. Ce n’était qu’un fait vécu que le temps et la stupide manie des anges à enlaidir le mal avait ternis. Et puis quand bien mêmes elle seraient vraies, elle n’était pas n’importe qui, elle n’en avait rien a faire de qui il avait violé ou tué, ce qui importait ce n’était que le gain final. Si elle rapportait la tête de ce pseudo prédateur sexuel, elle allait pouvoir se procurer de nouvelles armes fabriquées sur mesures sans avoir à coucher avec un forgeron de race inférieure. Kali posa donc le talon de sa botte sur la terre afin de ne pas trébucher sous le léger choc que le déploiement de ses ailes occasionnait puis elle s’envola vers le Ghealdan Est afin de trouver sa cible. Elle ne l’avait jamais vue en vrai mais les dires à son égard étaient assez élogieux ainsi donc elle n’aurait qu’à chercher un volatile tournant autours de toutes les gentes dames sans aucun but précis autre que regarder sous son jupon.

Les paysages sous Kali défilaient à une vitesse effarante, il faut dire que le vent matinal aidait énormément. L’ancien ange regardait les villages qui se succédaient avec une touche d’admiration et de dégoût. Comment des êtres aussi minables pouvaient-ils avoir eu une idée aussi grande que celle de permettre de vivre isolé ? La société des anges quand à elle visait la solidarité et l’entraide. Donc très rares étaient les gens vivant isolés. Puis Kali aperçus au loin les champs laisser place à une ville d’assez grande taille où elle devait se poser pour effectuer sa mission. Heureusement les gens dormaient tous à cette heure, ainsi donc elle ne se ferait pas voir. Elle se posa dans la rue qui semblait la plus grande de cette ville puis rétracta ses ailes et prit soin de changer son apparence de manière à avoir des traits plus humains. Ses cheveux se colorèrent lentement vers le blond pâle, ses yeux rouges et dilatés devinrent émeraude et sa peau d’une blancheur extrême un peu plus foncé puis ensuite elle poursuivit sa route vers l’auberge. Si elle voulait s’attaquer à une légende elle devait se préparer. Ainsi donc elle entrerait dans l’auberge et jouerait le rôle d’une jeune prostituée du nom de Jasma. Sachant que sa beauté d’ange l’attirerait indubitablement, Kali entra dans l’auberge et prit place auprès des filles. Aucune ne fût surprise de voir une nouvelle arriver en raison de l’instabilité du métier, du manque de sécurité et du vécu de ces femmes, il n’était pas rare que les filles se succèdent. Après de courte présentation avec chacune des filles et un bref tour de l’auberge, Kali prit place sur un banc et regarda le soleil par la fenêtre. Aedael arriverait au zénith, il ne lui restait donc plus que quelques heures à attendre. Malgré son désintérêt flagrant de tout les gars qui lui firent la cour et les reproches de ses collèges qui lui disaient qu’elle ne ferait pas long feu avec cette attitude, Kali se força à garder ce sourire de boniche naïve qu’elle abordait depuis son entrée. Elle était une professionnelle et ce n’était pas des prostituées qui allaient lui faire brûler sa couverture.

Alors que le vingtième vieillard de la soirée faisait un commentaire sur sa poitrine généreuse, Kali vit les portes battantes s’ouvrirent et sentis en elle-même qu’un ange était devant elle. Il était certes pas mal mais elle se serait attendue à mieux d’après les éloges féminines. Néanmoins cela n’avait aucune importance. Elle s’approcha de lui et lui fit la cour. Il ne lui prit guère longtemps avant de comprendre que son but était de la faire monter dans sa chambre. Bref elle ne pouvait le laisser partir avec une autre donc après un orgasme simulé et plusieurs remarques déplacés et grossières de la part de l’ange (auxquelles elle répondit en souriant faussement), elle lui servit du vin et participa à ces jeux idiots avec les autres filles. S’apercevant que l’ange était de moins en moins lucide et de plus en plus épuisé, elle le suivit à l’extérieure sortant en trombe de l’auberge, départ qui ne fût remarqué en raison de l’état des autres femmes. Puis lorsqu’elle le vit prendre une ruelle elle sut que l’occasion ne se représenterais plus. Sa ciblé était à moitié ivre, épuisé et désarmée. Certes il s’agissait d’un combat déloyal mais qui le saurait ? Elle cessa donc de cacher sa présence et s’approcha de l’ange désormais immobile. Elle posa lentement sa main délicate sur l’épaule large d’Aedael puis lui murmura à l’oreille de sa voix langoureuse :

-Tu me manquais déjà chéri.

Aussitôt ses cheveux devinrent plus blanc, ses paupière dilatées et rougeâtre et sa peau blême. Elle posa sa main dans son dos, sur le manche de son katana puis fixa l’ange droit dans les yeux.

-Ne bouge plus on va régler ça rapidement.

Elle sortit l’arme de son fourreau et tenta un coup vertical, sachant très bien qu’elle ne l’aurait pas aussi facilement.

Aedael ne comprit pas tout à fait le déroulement des évènements. Certes oui, il distinguait la silhouette élégante de Jasma dans le faible faisceau lumineux qui éclairait timidement la sombre ruelle, mais les vapeurs des liqueurs alcoolisées alourdissaient son sens de raisonnement. Dès qu'il en avait l'occasion et le loisir, Aedael se permettait un passage dans une taverne réputée pour sa boisson et ses femmes, c'était sans doute une façon pour lui d'échapper à ses sombres pensées, à ses douloureux souvenirs. D'abord, il faut saisir que ce déchu ne ressentait aucun remords face au viol de l'ange aimée et du meurtre de son frère. Cependant, son passé le hantait toujours. Le visage de la femme méprisée et idolâtrée tout à la fois revenait sans cesse dans son esprit. Elle ne se délogeait pas, malgré ses efforts.

Drakar, agité, tourbillonna au-dessus de la tête d'Aedael, se cramponnant parfois à ses épaules et oscillait de la tête, quelque peu inquiet. Ses grands yeux lumineux fixaient l'inconnue et enregistraient tous ses faits et gestes. Celle-ci, la mine menaçante et armée, semblait sur le point de s'élancer vers Aedael avec la ferme intention de l'assassiner. Évidemment, la pauvre proie n'avait pas la force nécessaire pour combattre, les membres engourdis par l'alcool, et les sens et réflexes amortis par tant de plaisirs et de beuveries. Toutefois, ses mains firent glisser de son fourreau l'immense épée couronné d'un œil pivotant et au regard affolé. L'œil de son frère dans laquelle, le dit-on, est enfermée son âme.

-Réglé quoi ? croassa Aedael, titubant légèrement sous le poids de son arme.

Il se maudit d'avoir tant bu de chopes de bière aujourd'hui, d'avoir forniqué avec une dizaine de femelles, d'avoir négligé l'aura douteuse de cette prétendue Jasma. D'ailleurs, il se réprimanda pour tant de bévues en seulement quelques heures et accepta les admonestations de sa petite voix en plus des sifflements désobligeants de Drakar à ses côtés.

La jeune femme rit et rejeta sa ravissante tête vers l'arrière. Aedael eut soudain l'envie d'épancher sa soif en elle, de réduire ses vêtements en lambeaux et de d'insérer en elle, sa clef palpitante et lourde.

-Tu es venue pour m'éliminer ? articula avec peine Aedael en adoptant une position de défense.

De plus, s'il suivait ses désirs bestiaux, elle ne pourra pas mettre un terme à son existence, trop occupée à vouloir se dégager de là. Il se souvient de l'autre. Du viol. Avec une telle précision qu'il eut un frisson désagréable en désirant ardemment de nouvelles chopes d'eau-de-vie. Il abaissa les paupières avec douceur, se concentra, s'éloignant de ses souvenirs et avec une rapidité vertigineuse, il déploya ses ailes et s'envola dans les airs.

S'il mourait, son sépulcre ne serait pas une ruelle malodorante, crasseuse et débordante d'excréments humains.

Kali tenait fermement son arme dans ses mains. Malgré son air certain et moquer elle avait peur de l’ange et s’efforçait tant bien que mal de ne pas le montrer. Malgré son état pitoyable, il restait néanmoins une légende du pays des anges et on lui avait raconté son histoire maintes et maintes fois. Et puis l’air détachait qu’il prenait, malgré sa flagrante faiblesse, l’inquiétait un peu. Il semblait sur de lui-même s’il se savait sous l’influence de l’alcool ! Comment étais-ce possible ? Kali elle, dans sa situation, aurait déjà trouvé le moyen de fuir pour combattre dans un état normal. Enfin quoi qu’il en soir Kali devait l’éliminer le plus rapidement possible pour pouvoir passer à autre chose. Après tout n’était pas une réputée chasseuse de prime ? Elle avait bien mieux à faire que perdre son temps avec un bouffon.

Elle avança lentement, la lame de son katana frôlant le sol. Elle admirant l’être qu’elle était sur le point de trancher de sa lame. Oui il était dans un sale état, oui elle avait été déçue de sa beauté que l’on vantait mais il dégageait une sorte de mystère, une sorte de tentation. Elle ressentait la même sensation qu’à l’idée de briser les règles angéliques. Sans perdre un instant elle chassa ses pensées qui pourraient la distraire de sa tâche. Elle devait exécuter ce qu’on lui demandait, peu importe la personne, c’était son métier et il n’était pas professionnel de mélanger ses désirs à son travail. Elle examina donc en quelques secondes les lieux qui l’entouraient. Avant de sauter tête première sur une cible elle avait appris depuis longtemps à examiner le terrain pour s’en servir à son avantage. Cependant elle avait beau regarder, rien ne semblait pouvoir l’aider dans cette ruelle remplis d’excréments animal et humain. Elle dû donc se contenter d’une confrontation directe puis d’un geste rapide abatis son sabre près de l’homme en le ratant intentionnellement puis lança sa petite dague droit sur le petit dragon qui virevoltais donc loin. Elle ne savait pas si ce dragon avait atteint l’âge de lui nuire mais elle préférait l’éliminer au cas. Ainsi donc son seul souci resterait l’ange noir.

Elle allait constater si sa tactique avait fonctionné mais n’eût pas le temps de regarder le petit dragon avait été touché car elle entendit le bruit d’un point qui fend l’air.

-Tu fais bien faible Ô grand Aedael à tenter de battre une femme armée alors que tu es à mains nues. Pourquoi ne t’inclines-tu pas et ne me laisses-tu pas gagner. Ainsi tu mourrais sans souffrir et j’aurais obtenu ce que je désire.

Elle fixait les grands yeux du déchus qui semblaient si froid. Ils lui rappelaient les siens. Ceux que l’homme qu’elle avait tant aimé. En fait ses manières et sa façon d’agir lui ressemblait beaucoup. Aussitôt une vague de désespoir l’envahit. Comment avait-elle pu abandonner son seul amour à un tel sort ?

Peu importait elle devait se concentrer sur le combat et oublier le reste. Elle se retourna et regarda l'ange d'un air moqueur.

-Alors tu compte faire quoi? Me tuer peut-être ?

Elle éclatta d'un rire mesquin. Elle ne devait pas le laisser la dominer, après tout c'était lui qui était en situation précaire.

Asarirm savait combien Aedael aimait les femmes, combien il aimait les embrasser, explorer chaque contrées inconnues de leurs courbes, de leurs vallons et vallées profondes. Combien il raffolait de leur goût particulier, de ce vin qui émerge de leurs chairs humides, de cette liqueur de miel qu’il aimait sinon plus que l’alcool. Oui, Aedael aimait beaucoup les femmes. Pour bien des raisons, d’ailleurs. Il n’appréciait pas seulement le corps d’une de ces savoureuses créatures, mais aussi leur esprit agile et troublant. Et leurs façons de le caresser, de l’enivrer de mille attentions langoureuses ou sauvages, finissaient par le rendre fou. Les femmes seront la principale source de la destruction des hommes. Aedael en était convaincu. Tout comme il était convaincu que son ennemie l’embrocherait avec sa longue lame effilée s’il ne se défendait pas héroïquement ou s’il ne s’enfuyait pas sur la seconde. D’ailleurs, il devait protéger Drakar de cette folle. Et puis…Aedael aimait beaucoup les femmes et la simple idée de balafrer, de mutiler ou d’entailler piteusement une apparence aussi séduisante que cette Ange Déchue aux prunelles écarlates lui chavirait le cœur.

-Mes mains nues me suffiront amplement à te repousser, dit-il d’une voix rigide, bien que son corps chancelle sous l’effet de ses nombreuses beuveries de la journée.

Apparemment, c’était une Ange Déchue vu son aura, son odeur. Aedael pouvait les reconnaître non seulement par leur plumage noir d’ébène, mais aussi par leur comportement, leur attitude, par le chaos régnant dans leurs yeux. Et cette sauvage femelle qui se dressait devant lui, déterminée à l’éliminer pour une raison quelconque, était bien un individu de sa race. Et elle souhaite ardemment sa mort. Aedael ne comptait pas lui donner satisfaction.

Le problème avec les Anges Déchus, médita Aedael en amorçant un mouvement d’attaque, c’était qu’ils étaient tous bornés, entêtés, audacieux ou trop bêtes pour recourir à la prudence, et terriblement agiles avec une arme dans les mains. Bien plus que les Démons, conclut-il. Oui, car ces diables malodorants bondissent stupidement sans prendre la peine d’analyser la situation sous tous ces aspects et les voilà morts aux pieds de leur adversaire. Non, Aedael craignait les siens plutôt que les autres races. Car il savait à quoi s’attendre aussi bien avec les Anges qu’avec les Déchus. Voilà pourquoi ile redoutait tant ce combat à l’issue incertaine, c’était soit cette femme ou soit lui.

-Ah moins que tu enclines à venir boire quelques bières, proposa alors Aedael, un malicieux sourire sur les lèvres. C’est beaucoup mieux que de s’entretuer.

Dès lors, il se maudit d’avoir omis d’apporter son épée à l’œil pivotant, avec elle en mains, il n’aurait eu peur que de recevoir quelques éraflures superficielles.