Oh mais ta gueule! (PV)

Au beau milieu d’une forêt du Ghealdan Ouest, à moins d’un kilomètre d’un lac fort charmant…Ou peu charmant. À mi-chemin entre le Mont Dragon et le fleuve Deisa : La Taverne du Farfadet. Un endroit sylvestre, pittoresque où viennent créatures surprenantes et grands voyageurs. Et n’oublions pas de parler de son propriétaire sympathique et chaleureux. Grom de Migard, le divin tavernier.
Non, mais, trop la classe dit comme ça, hein? Je devrais faire des pamphlets avec de jolis dessins de pichets et de fées caricaturales, une carte indiquant le chemin périlleux qui mène jusqu’ici et ce merveilleux discours imprimé avec une calligraphie fantaisiste. Ouais, tu parles…C’est vraiment juste très dommage que la majorité de la population ne sait ni lire et écrire. Mais, hey, faut pas leur en demander trop à ces mortels. Ces pauvres paysans n’ont qu’une vie pour apprendre à parler, marcher, pisser tout seul, picoler comme des hommes, travailler, se marier élever une famille, se nourrir sans s’en foutre partout et dormir…Où trouveraient-ils le temps de s’instruire? Ceux qui trouvent le moyen de le faire sont pour la plus part de grands empotés qui se font un malin plaisir de se venter de leur dit-savoir. Mais, comme l’aurait toujours dit maman si j’en aurais eu une : La culture, c’est comme la confiture, moins t’en as, plus tu l’étales.

Cela fait une semaine que je n’ai pas vu un client…Si l’on oublie le sénile et mystérieux vieillard qui se trouve ici pratiquement tous les jours. Je ne me plains pas de ce calme plat. N’empêche, je bâille aux corneilles alors que le vieux bonhomme ne cesse de raconter l’Histoire de Khayal en boucle depuis ce matin.

-Le monde connut plusieurs guerres avant que Khayal ne soit fait prisonnier d’Asarirm puisque ce dernier ne pouvait anéantir sa création tant elle était puissante et indestructible. Chaque meurtre lui apportait davantage de…

-Pouvoirs, oui, oui, grommelais-je dans ma barbe. Alors il se croyait invincible, je sais…

D’une main, je suis accoté sur le comptoir. Je passe une main paresseuse dans ma barbe où s’échappent des miettes de…Franchement, j’en ai aucune idée. Mais, le monstrueux rat sur le comptoir, Gizmo, s’occupe de venir grignoter ces…Machins non-identifiés. Hum, heureusement que personne n’observe un tel spectacle, c’est crade…Je soupire rauquement.

-À la suite de ces trois pertes dramatiques, les Dragons décidèrent de transmettre leurs sceaux à l’une de leurs progénitures si jamais ils succombaient, plus précisément à leur premier enfant et ce sceau peut s’hériter de génération en génération. Cela vous fascine, n’est-ce pas ?

-Pour la dernière fois, non…Tu vas le payer ton verre?

-Je dois avouer que moi aussi. Si j’ai déjà eu la chance de côtoyer des Dragons ? Oui, j’entretiens d’excellentes relations avec eux.

Je fais claquer ma langue entre mes dents et fait tourner mes yeux dans mes orbites. Mais, j’lui ai rien demandé! Mais, je n’y peux rien. En fait, si. Je pourrais le foutre dehors…Mais, hey, c’est quand même mon seul habitué. Je ne suis pas certain…Pourtant, je serais près à parier qu’il est complètement sourd.

Je suis sur le point de soupirer à nouveau jusqu’au moment où…La porte s’ouvre à mon grand étonnement. Je lève un regard vague et pousse un ‘’hurm?’’ en direction de la porte. Ah bah non, c’est pas le vent. Et nan, c’est pas un lutin nu. Ah! Bonne nouvelle.

-Ah ! Ah ! Vous voilà enfin ! Je vous attendais depuis le crépuscule, assis près de…

Je baisse à nouveau la tête.

-Ah, non…Mais ta gueule toi…

Oh, désespoir…

L'étendue des plaines se prolonge à l'horizon tandis que derrières elles se découpent le disque solaire qui, épuisé, amorce sa descente vers les abîmes terrestres. C'est un peu l'idée que se faisait Aedael lorsqu'il assistait une fois de plus au coucher du soleil et parfois, pendant qu'il se sentait nostalgique, il éprouvait le besoin de se souvenir de sa vie passée auprès des Anges où la sphère d'or semblait plus froide et distante. Avant, il n'avait jamais prêté une bien grande attention aux éléments naturels de son entourage, seulement la jeune femme comptait pour ses yeux aveuglés. C'est alors dans un soupir qu'Aedael, contraint de repousser ses amères pensées, consentit à exécuter les ordres du minuscule dragon qui volait sur sa droite ; atterrir sur la terre ferme en vue de profiter de la nuit venant pour mieux se reposer. Le petit dragon était bien capricieux. Il n'aime guère voler durant la nuit de crainte de heurter une matière non-identifiable bien qu'il ait une paire d'yeux perçants; il aime dormir dans un nid moelleux et confortable après une agréable berceuse, se nourrir de telle ou telle viande fraîche et appétissante, être amoureusement caressé malgré ses écailles tranchantes, recevoir une grande part d'attention et de respect en plus de constater une totale et parfaite soumission de la part d'Aedael qui, de son côté, n'en faisait qu'à sa tête, ou presque.

-Je dis que nous descendons, gronda alors Drakar de sa voix petite flûtée nullement menaçante.

-Nous n'avons point besoin de courir la terre ferme; nous venons à peine de reprendre notre chemin, à ce rythme, nous n'arriverons jamais à Ygrath et nous devons nous y rendre le plus rapidement que possible.

Drakar, le minuscule dragon pas plus gros que le point d'Aedael, émit un petit mugissement ressemblant vaguement à un feulement de chat timide en guise de contestation. Puis, il se mit à débiter sur les raisons pour lesquelles ils devaient tout deux bifurquer vers la forêt qui se profilait au loin. Car Monsieur le dragon tout puissant désirait se nourrir un peu, s'abreuver pour désaltérer son gosier si assoiffé, reposer ses ailes raidies par tant d'exercices et réchauffer ses membres gelés. Exaspéré. Aedael, l'ange déchu, approuva avec mécontentement quand, soudain, il eut une excellente idée. C'est avec un imperceptible sourire qu'il augmenta l'allure avec un Drakar vociférant accroché à son bras droit. Alors, la haute silhouette sombre des arbres se dessina à quelques mètres d'eux et c'est avec une rapidité surprenante qu'Aedael fonça parmi les immenses troncs tout en les contournant avec une agilité étonnante.

-Mais nous sommes fous ! réprimanda le dragon, terrorisé. Nous aurions pu nous fracasser contre les arbres.

-Mais nous sommes sains et saufs, du moins assez pour nous offrir un breuvage fort mérité.

C'est dans un sifflement irrité que Drakar remarqua la présence d'un établissement miteux dont les fenêtres laissaient filtrer des vaisseaux lumineux. De temps en temps, des individus d'apparence curieuse émergeaient de la taverne pour disparaître dans la dense forêt tandis que d'autres surgissaient d'entre les profondeurs pour pénétrer dans La Taverne du Farfadet. Aedael songeait que l'aubergiste devait être un bien sot homme pour attribuer un nom aussi pauvre pour une bâtisse isolée dans les bois. Toutefois, la bière y était bonne. C'était peut-être le seul attrait de cette auberge.

-Nous allons encore boire des chopes d'alcool, releva le dragon de mauvaise humeur en gravissant l'épaule de son compagnon pour ensuite aller se camoufler dans son cuir chevelu. Nous allons être malades et exécrables au matin.

-Mais nous aurons satisfaits nos envies.

Aedael fit de grandes enjambées et se glissa dans la taverne d'une propreté douteuse où un relent d'alcool et de crasse lui sautèrent au nez dès son arrivée. D'un rapide coup d'œil, il nota la présence d'un vieil homme au visage hagard qui marmonnait dans sa barbe, un barbu maussade qui détenait entre ses mains une bouteille, un autre homme dans le fond de la salle et un être dissimulé sous une longue cape. Sans hésitation, Aedael, qui eut pris soin de cacher ses ailes noires, s'avança la tête haute vers le comptoir alors que Drakar lui soufflait des mots à l'oreille.

-Nous trouvons que cet endroit pue. Nous exigeons retourner au dehors.

Aedael fit la sourde oreille et fit signe au tavernier de venir le servir. C'est une fois assis que l'ange déchu comprit les paroles du vieil homme plus loin.

-Ah ! Ah! Mais vous vous demandez probablement, non sans aucun doute, pourquoi un vieil homme tel que moi vous invite si humblement aux côtés de cet arbre enchanté ?

Aedael fronça les sourcils et s'enquit d'un coup d'œil au sujet d'un arbre. Pourtant, il n'y avait aucune trace de végétation dans la salle commune. L'aubergiste barbu et les cheveux ébouriffés se présenta auprès de lui.

-Nous vous prendrons votre meilleure eau-de-vie, fut la demande d'Aedael puis il retint l'individu d'une main sur le poignet. Que marmotte cet homme ?

-Quoi ? Déçus ? Vous, déçus ? Non, non ! Ne fuyez pas, mes jeunes amis, la nuit est encore jeune, bien trop jeune pour regagner le confort de sa hutte, n’est-ce pas ?

Ravalant ma lassitude du vieux conteur sénile, je me décide de lever les yeux vers le nouvel arrivant et l’observe. Jeune créature des bois ? Sa tête ne me dit rien…Et le minuscule dragon qu’il trimballe non plus. Mais quel grotesque petit lézard. Autant que les dieux se moquent de moi, lui, il doit être la risée des autres dragons avec une taille pareille. Je secoue la tête en soupirant.

Je m’avance vers l’homme et sa bestiole et les dévisagent un tant soit peu.

Un être des bois ? Ce n’est certainement ni un homme sylvestre, ni un garou. Il n’est pas du coin. Un voyageur quelconque ? Pas un humain de l’Est. En fait, il n’est pas humain du tout. À savoir si c’est un ange, un démon ou un autre de ces êtres bienfaisants ou malfaisants, je m’en moque. Tant qu’il consomme, tant qu’il paie et qu’il ne trouble pas ma quiétude, je n’ai rien à en dire.

Avant même d’avoir dit quoi que ce soit, monsieur me demandant mon meilleur eau-de-vie. Mais, tout ce que je sers ici est bon bigre…Il croit que le dieu de l’Ivresse servirait de la merde avec un peu d’eau ? Bien sûr, il ne peut croire cela puisqu’il ne sait pas qui il a devant lui et probablement va-t-il jusqu’à ignorer mon existence. Je grommelle quelques mots à peine audible pour finalement répondre d’un ton un peu plus chaleureux et un sourire :…

-…Bien sûr monsieur.

En plus, il dit « nous »…Je ris pour moi-même. Ça ressemble à quoi un dragon nain soûl ? Je me le demande. Alors que je me dirige à mon comptoir, l’inconnu m’arrête. Qu’est-ce que qui marmonne ? J’arque un sourcil. Quoi ? Ah…Lui. Je soupire, désespéré.

-Moi qui avait presque réussi à l’oublier celui là…

Je marque une pause et jette un œil au vieillard.

-Il est la matin et soir, presque tous les jours…

J’observe maintenant mon tout nouveau client.

-Et matin et soir, il raconte la même histoire…M’enfin, c’est ce qu’il m’a semblé…Je ne l’écoute plus tellement. Il raconte l’histoire du dieu Khayal. M’enfin…Dieu ou démon, qu’importe.

Je me dirige alors avec nonchalance vers mon comptoir pour prendre une bouteille sans trop regarder, me doutant bien que n’importe quelle fera l’affaire et en remplis une choppe. Je lui apporte à sa table.

-Il le répète. Mot pour mot en plus. Je le connais par cœur.

Aussitôt dit, je me mets à parler, à dire les mots exactes que le vieil homme dit lui même, le même ton, le même débit, au même moment. « Allons…Allons…L’histoire d’Ophrée et Diason ? Quoi ? Les intrigues amoureuses vous incommodent à ce point ? Tant pis, c’était l’une de mes préférées et l’une des plus touchantes des Légendes de notre beau pays. »

-Vous voyez?

-Nous l’avons connu il y a quelques années ! s’époumona Drakar en sautillant de joie sur l’épaule de l’étranger encapuchonné.

Aedael glissa jusqu’à l’individu dont le visage était mystérieusement dissimulé sous un morceau d’étoffe aussi opaque que les ténèbres. Tout son corps, songea Aedael, était recouvert d’une cape longue et ample qui ne permettait à quiconque d’entrapercevoir un doigt, un poignet, une jambe. Intrigué par cette apparence, Aedael consentit, ou plutôt suivit les ordres de son minuscule Dragon qui feulait de frustration, et prit place auprès de la connaissance de Drakar. Ce dernier, jovial et sifflotant gaiment, pressait sa petite tête écailleuse contre celle de l’étranger et ronronna de plaisir.

-Nous devons vous présenter. Nous avons croisé le chemin de ce petit homme il y a de cela longtemps. N’est-ce pas, petit homme ? Et nous avions dormi ensemble dans le dur froid de l’hiver.

Aedael fronça les sourcils, jeta un coup d’œil à la salle commune pour vérifier les environs et conclut que les gens présents n’étaient pas d’une nature dangereuse. Avant tout, il y avait l’aubergiste grognon qui vociférait auprès du vieil homme dont le visage absent fixait le feu ronflant du foyer de l’établissement. Ce dernier s’élançait maintenant sur la légende d’Ophrée et Diason, une ravissante et tragique histoire d’amour entre un Démon et une humaine. C’est avec fougue et passion qu’il expliquait, avec moult détails croustillants, ce récit fantastique et sombre. Certains de l’assemblée l’écoutaient avec avidité, c’est-à-dire les deux ou trois autres voyageurs présents qui buvaient leur bière avec satisfaction.

-Notre animal de compagnie – Aedael grogna de mécontentement à ce titre désigné pour lui – se nomme Aedael et notre compagnon Doreo.

Drakar eut un hochement de tête heureux et bondit sur la table où il s’étendit de tout son long, lorgnant le dénommé Doreo afin que celui le caresse amoureusement. Le jeune homme, d’après ce qu’en déduisait Aedael de par sa silhouette chétive et son timbre de voix, se mit, avec hésitation d’abord, à effleurer du bout des doigts l’animal. Aedael sourit.

-Fais bien attention, dit-il. Nous sommes quelque peu…piquant.

Il lui montra ses mains recouvertes de cicatrices fraiches ou anciennes et d’entailles rougeâtres. Le corps entier d’Aedael était balafré non par les maints combats déjà accomplis, mais par les griffes tranchantes et les écailles de Drakar. Ce dragon, trop affectueux, ne contrôle pas ses pulsions et se met à rouler sur Aedael lorsqu’il désire un tant soit peu d’attention. Le petit sembla opiner du chef, mais son visage resta invisible.

-Aubergiste ? Je crois que vous avez oublié nos boissons et nos repas, nous avons faim. Vous pourrez ensuite admonester ce pauvre bougre de vieillard, mais nos estomacs sont légèrement…affamés.

Dommage qu’il n’y ait pas de femmes dans cette taverne. Seulement des hommes. Et Aedael n’était pas ce genre de personne à accueillir ce type de proposition. Ah moins qu’il soit totalement ivre.

Je me tourne vers le drôle de bonhomme encapuchonné, un peu surpris que ce type qui ne m’a pas paru bien bavard daigne se mêler un peu de la conversation. Mais, une fois la surprise passée, je souris. Je ne suis donc pas le seul à être énervé par ce vieux monsieur.

-Oh là, là, là…Excusez-moi mon bon monsieur, dis-je, enjoué et terminant avec un rire gras. Si j’avais su que je n’étais pas le seul à qui ça rendait dingue…

C’est vrai, en général mes clients le regardent avec curiosité et amusement comme s’il s’agissait d’un vrai conteur et l’écoute avec curiosité et en train. Mais, bien sûr, le sombre personnage caché derrière son manteau est là depuis assez longtemps pour que les récits du vieil homme l’ait rendu aussi exaspéré que moi.

Je me désintéresse finalement des deux clients et du lézard pour retourner à mes affaires…Je passe un petit coup de chiffon à deux ou trois tables qui débordent de poussière. Je dépose le morceau de tissu poussiéreux sur le comptoir au moment où l’inconnu me demande de lui apporter de la boustifaille.

-J’vais voir ce que je peux faire…

En effet, je ne me suis pas pointé au marché depuis plusieurs jours…Mais, que je puisse partir de quoi remplir les estomacs des messieurs, le vieux sénile tire sur ma manche. Avant qu’il me dise quoi que ce soit, je rétorque que je lui paierai son verre s’il veut bien me laisser tranquille. Et, avec l’insistance des visiteurs, je retourne à mes réserves.

Une fois revenue, j’apporte à leur table du pain, du fromage et du vin.

-Désolé mais il n’y avait rien d’autre. J’irais vers l’Est au village le plus proche demain pour remplir mes armoires.

Mes yeux se posent sur le minuscule dragon. Je le fixe avec des petits yeux avant de dire sous un ton plaisantin :…

-Mais quelle vilaine créature…

Je regarde maintenant le nouveau venu qui s’est ramené quelques minutes plus tôt avec le lézard parlant.

-Vous revenez du Mont Dragon dites-moi?

Aedael aimait bien l’aubergiste de cet établissement. Il était bien l’un des seuls à le dévisager avec autant d’insistance, à aborder un sujet délicat concernant son compagnon ailé. De plus, il lui fournissait de l’eau-de-vie abordable et buvable, ce qui était un exploit plutôt apprécié chez l’ange déchu. Il tendit la main en direction de son dragon auquel il remit de petites caresses compatissantes et hoqueta de surprise lorsqu’il sentit les crocs acérés de Drakar s’enfoncer brutalement dans ses doigts mutilés et gravés de cicatrices semblables aux nouvelles blessures offertes par l’animal. Réprimant un rictus douloureux, Aedael retira délicatement sa main et tança d’un sifflement outragé le minuscule dragon qui agitait gaiement sa petite tête de la grosseur d’une noix.

-J’essaie de me tenir loin du Mont Dragon ces dernières années. Il y a de furieuses agitations au sein des Dragons et de fréquentes excursions de Démons en quête de délivrer le Ténébreux. J’ai même entendu dire que des Lichs parcouraient la région, expédiant leurs Djinns dans toutes les directions. Des Garous circulent librement et en troupe. Des Fées noires s’agitent. De anciennes alliances ressurgissent. Les armées recrutent par milliers. Les temps deviennent de plus en plus dangereux.

L’inconnu encapuchonné se pencha vers Aedael avec la ferme intention de ne point perdre un seul mot de ses informations et le tavernier grimaça sans retenue. L’ange déchu vola un morceau de vieux fromage qu’il entreprit de dévorer avec appétit, distribuant des miettes suffisamment grosses pour Drakar. Le vieux homme, sur leur droite, se redressa et s’achemina jusqu’à un client silencieux, prit place à ses côtés et se mit à lui débiter une histoire tumultueuse entre deux amoureux. L’étranger devint vite cramoisi et s’étouffa avec son breuvage à plusieurs reprises. La porte de l’auberge s’ouvrit dans un grincement sonore, permettant à deux voyageurs de pénétrer dans les lieux. Un homme et femme qui soutenait un faucon sur son bras droit.

-Aubergiste, je crois que vous avez de la visite, n’hésitez pas à revenir discuter avec nous alors que vous serez libre.

Bien avant que l’homme barbu s’éclipsa en direction des nouveaux venus, Aedael pivota vers le petit homme dissimulé sous une longue cape noire. D’abord, il crut qu’il s’agissait là d’un humain, mais un étrange pressentiment lui titilla l’estomac. De plus, connaissant Drakar, ce dernier n’aurait point permis à un humain de le toucher ni même de dormir avec lui. Tout ceci piqua la curiosité d’Aedael.

-Alors vous avez déjà croisé Drakar par le passé ?

Le Dragon siffla joyeusement, s’envola sur la table où il s’avança vers l’individu.

-Au fait, je me nomme Aedael, se présenta l’ange en tendant la main. Oh zut. J’ai vidé la bouteille de vin. Aubergiste ?

Je souris de contentement quand j’entends la minuscule créature s’indigner. Je ris joyeusement avant de remettre mon attention sur son compagnon. Celui-ci caresse le petit dragon.

Je fronce des sourcils quand la bestiole le mord. Quelle…Chose agaçante. Oh, il ne faut pas s’y méprendre, je ne déteste pas les dragons bien que je me fais un malin plaisir à me moquer du petit monstre. J’en ai rencontré suffisamment pour avoir appris à respecter ces puissants lézards écailleux. Ce sont d’admirables créatures. J’ai eu beaucoup de plaisir à leur rendre visite il y a longtemps. Aujourd’hui, je ne le fais plus tellement. Trop de conflits aux quels je n’ai pas envie de me mêler. Ce n’est aucunement ma guerre cette histoire. Une connerie qui ne se serait jamais produite si Khayal s’était senti plus utile. Mais, le mal et fait et il serait bien que le mal reste prisonnier. Pour le bien de tous, je pense, bien que je n’ai pas plus de respect pour les autres dieux que pour ce grand démon. Mais, bref, là n’est pas le sujet.

J’écoute d’un oreille à demi-intéressé le jeune homme. Ah si, réflexion faite, c’est le sujet. Mais, je finis impérativement à secouer de la tête en grommelant. Je n’aime pas. Ce chapitre me casse les pieds. Cependant, il a tout à fait raison. Personne ne peut rester aveugle à ce qui se trame non loin d’ici.

-Après la pluie le beau temps comme on dit, hein? Malheureusement, c’est aussi valable pour l’inverse et quelque chose me dit qu’il y aura une tempête après cette pluie.

Mon attention quitte vaguement les deux voyageurs pour se poser sur le vieillard qui vient à la rencontre d’un de mes rares clients. Je soupire bruyamment pour exprimer mon mécontentement. Je m’apprête d’ailleurs à attraper mon cher habitué par le collet pour l’asseoir à un endroit où il ne dérangera personne. Mais, avant même que je ne fasse un pas, deux clients entrent dans mon joyeux établissement. J’entends l’un des deux voyageurs me « proposer » d’aller m’occuper des nouveaux venus. Je ne me fais pas prier à viens à leur rencontre tout en grommelant, au passage, des menaces bien choisi à l’adresse du vieil homme.

Je sers , à leur demande, 2 chopes de bière et une miche de pain au deux arrivants. Je devine aisément que ces deux êtres à l’allure humaine ne sont rien de plus, rien de moins, que des garous. À en avoir vu en grande quantité depuis les dernières années, j’arrive facilement à les reconnaître. Bien que j’entâmes sans trop de gêne une certaine conversation, j’entends le voyageur de l’autre table m’appeler.

-Oui?

Je jette un rapide coup d’œil à leur table pour constater une bouteille vide. Je souris gaiement et vais à leur table en reprenant celle-ci.

-Ce sera pour une autre bouteille?

Sans trop attendre de réponse, me voilà déjà en direction du comptoir. Je reviens rapidement à leur table avec une bouteille identique. En fait, c’est exactement la même car je n’ai fait que la remplir d’eau. Un petit tour de passe-passe et hop, l’eau s’est changé en vin.

-Voilà, voilà.

Je regarde d’un air accusateur le vieillard toujours à radoter en compagnie d’un pauvre client désespéré.

-Tu t’éloignes de là ou t’es à la porte…

je souris, satisfait, quand je vois le vieil homme changer de tabouret sans pour autant arrêter son histoire. Je soupire.