Petit séjour[PV GROM]

Le foyer est médiocre, cependant le feu est acceptable. Il crépite et danse avec élégance. Sur ta gauche, à dix pas, il y a le comptoir poussiéreux de la taverne. Je me demande bien c’était quand la dernière fois qu’il a été lavé vu son état lamentable. Devant toi, à une vingtaines d’enjambées se situent les escaliers menant à l’étage supérieur. Maintenant, sur ta droite s’étend une salle commune crasseuse et faiblement éclairée par des torches. Il y a une bonne dizaine de tables pressées les unes contre les autres et il y a des clients de nationalités et de races différentes.

Je sens Atlarius se presser derrière moi afin de pouvoir pénétrer dans la taverne isolée dans les bois. Doucement, je m’efface pour lui laisser le chemin libre sans toutefois lui lâcher la manche. Dans les nouveaux endroits comme ceux-ci, je me méfie des étrangers et préfère me raccrocher à mon ami. Ce dernier, si je me réfère à mes souvenirs, est costaud et large d’épaules. Il a des membres musculeux et puissants, des doigts agiles pour manier autant les armes que les instruments de musique. Il assure ma sécurité et joue le rôle autant d’un protecteur que d’un ami fidèle. J’imagine ses petits yeux gris fouiller la pièce avec minutie, ses lèvres minces se pincer devant la mine abattue ou ivre des autres clients. Puis, il entoure un bras autour de ma taille et m’incite à m’avancer dans la pièce d’où me parviennent des brides de conversation.

Décris-moi les étrangers.

Lansan exerce alors une pression sur mon bras, grimpe jusqu’à mon épaule où il se cramponne solidement à mes os. D’une voix railleuse, il se met à me dépeindre l’apparence de toutes les personnes présentes dans l’auberge. Je l’écoute avec attention, laissant le soin à Atlarius de nous réserver des chambres auprès de l’aubergiste des lieux.

Dans le fond à droite du foyer, il y deux hommes d’une propreté douteuse qui conversent à voix basse. Ils sont barbus, massifs et pustuleux, vêtus de vêtements usés et crasseux comme s’ils avaient dormi dans une porcherie. Près d’eux se trouve un jeune blondinet intimidé par le discours grandiloquent d’un vieillard gesticulant. De l’autre côté, à une table plus au moins isolée, il y a deux occupants des plus bizarroïdes. L’un deux ne porte qu’une paire de chausses déchirées par endroits, il est recouvert de cicatrices de la tête aux pieds, il est aussi accompagné d’un petit dragon d’une horrible laideur.

Je souris malgré moi, la répugnance de Lansan pour les dragons m’a toujours bien amusée. Toutefois, la présence d’un dragon chez les humains pique aussitôt ma curiosité. Dès lors, j’écoute avec beaucoup plus d’attention. Atlarisu s’impatiente à mes côtés, grommelant que si le propriétaire ne se présentait pas dans les prochaines minutes, il irait de lui-même se choisir une chambre.

Avec le balafré, il y a une petite silhouette enrobée d’une cape noire. Ça m’a bien l’air d’une ombre. Et finalement, il reste cet homme qui se dirige dans notre direction avec une bouteille de vin fendue à la main.

Comme de fait, je sens les vibrations de pas lourds sur le sol, j’essaie de prédire d’où vient l’individu en question, mais je suis saisie d’un sursaut au son bourru de sa voix. En fait, l’homme au ton brusque possède une odeur rance de transpiration et de crasse, saupoudrée d’un relent puissant d’hydromel.

-Bonsoir, monsieur, salue alors mon compagnon. Nous voudrions des chambres si possible et un dîner.

Le tavernier est imposant de par son ossature, poursuit la voix ironique de Lansan dans ma tête. Il est grand, détient une bonne panse d’alcool, des cheveux hirsutes noirs, une longue barbe emmêlée et sale, un regard perçant, un air de rustre. Il te dévisage aussi.

À ces mots, je tends vaguement un sourire chaleureux au propriétaire.

Je quitte les deux étrangers et ce dragon freluquet pour aller accueillir les nouveaux venus. Armé de la bouteille vide de la table que je viens de quitter, je pose mes yeux sur le jeune impatient de ce nouveau trio. Sans doute ne sait-il pas que j’ai pu l’entendre grommeler un peu de l’autre bout de la pièce. Jeune, costaud et pourtant si impatient. Les jeunes de nos jours, je ne vous dis pas. Quoi qu’en fait, la jeunesse n’a pas tellement changé depuis le début des temps. Toujours aussi peu enclin à attendre.

Tes jambes sont solides mon gars, tu es capable de tenir debout encore un peu, je pense. Mais, je garde cette remarque pour moi, exprimant un simple «bonsoir» chaleureux, ne m’intéressant plus du tout au jouvenceau empressé. Car oui, j’ai trouvé un sujet de distraction bien plus plaisant et c’est peu dire. Sourcils relevés, de grands yeux, l’air bouche-bées, lèvres entrouvertes, je regarde la jolie petite dame qui l’accompagne. J’ignore le plumeau aux yeux globuleux sur son épaule délicate et il en va de même du jeune homme aux yeux gris qui me dit je ne sais quelle chose futile.

Je me surprends à dévisager ses courbes mais qui, bien que merveilleuses, ne vaut rien comparé à son joli minois juvénile et ces petites lèvres roses. Je m’arrête par contre à ses deux prunelles aveugles et fixes. Handicap étonnant pour une voyageuse, même accompagnée…Ah, oui, accompagnée, je l’avais oublié lui. D’ailleurs, n’est-ce pas lui que j’entends soudainement toussoter?

-Ah! Oui, oui…

Je le regarde soudainement.

-Des chambres et un dîner vous avez dit? Bien sûr, laissez-moi seulement le temps de rapporter une autre bouteille à mes autres clients…Vous n’avez qu’à prendre table.

Je rapporte la même bouteille maintenant pleine à monsieur Balafre, monsieur Capuchon et monsieur dragon-nain-qui-ne-me-plaît-pas-beaucoup. J’échange quelques phrases avec eux mais je reviens rapidement vers la demoiselle et son compagnon quand j’entends celui-ci soupirer bruyamment.

Je passe par mon comptoir pour aller leur chercher un peu de pain, du fromage et un très bon vin (bon, comme toutes les boissons de ma taverne d’ailleurs) ainsi que les clefs de leurs chambres.

-Voilà, voilà…Le repas n’est pas rocambolesque, mais pour la boisson je crois que ça aura valu la peine d’attendre, je dis, en déposant le tout sur leur table. Ah, et il me faudra un peu de temps pour passer un petit coup de balet dans les chambres...Est-ce que ce sera tout?

Il te dévisage. Pense que ta vue lui plait. Ses prunelles descendent le long de tes hanches, s’attardent à tes atouts féminins puis remontent jusqu’à tes yeux. Il semble surpris. Mais on ne sait jamais à quoi s’entendre avec des individus de leur genre.
Aurais-tu un dédain prononcé pour les hommes, Lansan ?
Seulement pour les barbus alcooliques crasseux et bourrus comme celui-ci.
Charmant.
Non vraiment, il devrait mieux faire sa toilette le matin. Tu ne sens pas son odeur, j’en ai les plumes retroussées.

Aviendha, curieuse, frémit ses délicates narines en vue de capter les effluves dits malodorants de ce personnage d’apparence négligée. D’ailleurs, elle perçut les arômes d’alcool et de bière acre en plus de l’odeur épicé et fort du vin. Aussi, son odorat crut traquer les relents de transpiration et de saleté. Tout ceci provenant de l’aubergiste malpropre ? Peut-être pas. La salle commune exhalait une subtile puanteur d’humidité et d’odeurs corporelles de créatures induites de souillure.

Le faucon d’Aviendha changea de position, escalada le bras de sa maîtresse, jeta un rapide coup d’œil aux alentours avant de rentrer sa petite tête aux airs perçants et sévères entre ses épaules. L’homme, le musicien impatient, soupira à ses côtés, agacé par la lenteur désabusée du tavernier pour répondre à leurs exigences et à celle de ses autres clients. La jeune femme sourit, déposa une main sur le bras de son compagnon, l’intimant à la patience. Ce dernier grogna entre ses dents, mais n’objecta pas.

-Où est-il ? réclama la mélodieuse voix d’Aviendha.

-Servir un homme torse nu qui caresse un dragon nain bavardant avec un autre homme enroulé dans une cape. Il revient sur ses pas. Il nous désigne une table à laquelle s’installer.

Aussitôt, selon les instructions de Lansans, le faucon, Aviendha fit deux pas en direction de la table, mais l’une de ses mains se redressa et attrapa au passage le bras ferme d’un homme qui s’avéra être le tavernier de l’endroit. La jeune femme sourit.

-C’est un endroit curieux pour installer une telle bâtisse ? Avez-vous beaucoup de clients, Monsieur ? Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vous prierai d’orienter mes pas, ma cécité m’empêche de franchir quelques mètres sans trébucher.

Aviendha esquissa un ravissant sourire et Lansan pesta.

Je lève les sourcils, surpris de sentir la fine et gracieuse main de la dame attraper mon bras. Par contre, il est inutile de préciser que ce n’est pas tellement désagréable. Elle sourit et j’en fais de même, ravi. Mais, ça, elle ne peut pas le voir.

Un endroit curieux. Je laisse échapper un rire gras. Un endroit curieux, des clients curieux, un tavernier curieux. Et ouais, ce n’est qu’à la Taverne du Farfadet que l’on peut trouver des fées, des Ombres, de jolies garous aveugles et un Demi Dieu ivrogne. Et cet endroit se trouve au beau milieu de nulle part. Pourtant, je trouve quand même le moyen d’avoir des clients. Aller savoir…

Je la conduis galamment à sa table en souriant. Ce n’est qu’après que je réponds à sa question.

-J’ai le nombre de clients qu’il me faut.

C’est-à-dire, peu…Mais, plus qu’on ne le croirait vu l’emplacement de ma taverne. Il y a plus de créatures vivant ici qu’on pourrait le penser et une quantité respectable de voyageur. À croire que j’ai peut-être une certaine notoriété quelque part ou peut-être est-ce le hasard. Je ne sais pas, je n’ai jamais cherché à savoir. L’important, c’est que mon commerce marche.

-Il y a autant de gens de l’Est que de l’Ouest qui viennent ici… Bon, je pars m’occuper de vos chambres. Je vous laisse.

Je souris mais cette fois-ci, il s’adresse autant au moineau, au gamin et à la dame. J’imagine déjà le jeune homme continuer à pester sans raison alors qu’il a déjà tout ce qu’il lui faut. Je soupire tout en m’en allant.

Peu de voyageur reste ici pour la nuit. Ils boivent, papotent et repartent. Ce qui fait que l’endroit est un peu…Poussiéreux. Au moins, les matelas ne sentent pas le moisis et ça, c’est déjà bien. Grommelant dans ma barbe, je passe un coup de ballet…En fait, des milliers de coup de ballet. Mais, je finis le travail assez rapidement.

Je retourne à mes clients. L’un demande une autre bouteille. L’autre un repas. Je dois éloigner le vieux sénile des autres clients qu’il continue à harceler. Puis, je retourne à la table de la dame et de son compagnon accompagnés de leur pigeon.

-Alors, tout va bien ici? Hum?