Une soirée en taverne {libre}

Les oreilles bouchées par une matière blanche et duveteuse, je sifflote, ravis de ne pas avoir à entendre les sottises du vieux bonhomme. Maintenant complètement sourd, je ne remarque l’arrivé d’un client que grâce aux jeux d’ombres décelables à chaque mouvement qui se produit ici. Avec le peu de clients que j’ai, je sais repérer par un changement d’air, d’ambiance ou d’éclairage l’entrée d’un visiteur tant attendu.

Je lève les yeux, tout souriant. Le vieillard s’arrête un moment de parler, je le sais car que je ne vois plus ses lèvres bougées, et suit mon regard. Ses yeux s’illuminent un moment de bonheur comme un chien-chien. Puis, il tourne sa tête vers moi et continue son histoire avec son expression faciale habituelle. Hum…Vieux sénile.

J’observe l’inconnu. Pas une fée, certes, il ne s’agit pas d’un garou, je sais généralement les reconnaître, au moins par l’attitude…Pas un dragon, pas un lutin à poil, pas une licorne. Un humain. À la vue de ses affaires qu’il étale sur la table avec une forte insouciance désinvolte plus le fait qu’il ait la peau et les cheveux de quelqu’un qui se lave plus d’une fois par année et pour finir que le tissu, la coupe et la texture de ses vêtements n’est certainement pas celle d’un pauvre paysan…Cet homme est une de ces tafioles* de bourgeois ou un noble dans le pire des cas. Cela rend donc sa présence deux fois plus improbable. Il nous salue d’un coup de tête. C’est ça, c’est ça…Ta gueule.

Je vois les lèvres de l’inconnu bougées. Mais, ayant toujours du coton dans les oreilles, je n’entends rien. Tout en les enlevant, je réponds avec classe :…

-Hein, quoi?

Je jette nonchalamment la matière autrefois blanche et maintenant jaunie par la crasse de mes oreilles dans la chope vide du vieillard qui ne picole plus depuis une heure de toute façon. Le monsieur me répète sa commande.

Mon meilleur vin. Je grommelle quelques choses d’incompréhensible puis ajoute un ‘’Ouais, tout de suite M’sieur’’…Ces riches…Ils sont aussi agaçant que les dieux quand ils s’y mettent…Quoi? Moi, bourré de préjugés? Bon, d’accord…Un tantinet. Allez Kadear, sois charmant avec le monsieur. N’es-tu pas censé être chaleureux? Ce type ne t’as absolument rien fait à part commander un bon vin avec ce ton quasi-chantant de bourgeois qui ne connaît pas la misère. Et la misère, tu ne l’as connais pas non plus même si tu vis humblement, alors, sois sympa. D’accord, je me montrerais sympathique car c’est la sagesse qui le dit.

Bon du vin, du vin, du vin…Ça doit bien faire des années qu’on ne m’a pas commandé ça. Du vin. Je soupire. Je fouille un peu sous le comptoir et trouve une bouteille poussiéreuse.

-Voyons voir…

Je souffle dessus et toussote. Et ouais, c’est bien du vin ça. Et il traîne depuis si longtemps dans mes armoires que ça doit être un très bon. Ne me questionnez pas sur ma logique s’il vous plaît…

J’apporte une choppe à sa table remplie de vin à rebord et…Et en bois une gorgée sans gêne. J’adopte un air de profonde réflexion un court instant puis souris. Mais, oui…C’est tout à fait buvable.

-Et voilà votre vin mon bon monsieur…Je ne crois pas vous avoir déjà vu ici…Monsieur..?

*Désolé, j’ai juste toujours rêvé (toujours se traduisant par ‘’ça fait une bonne semaine’’) de glisser ce mot là dans un rp…Pas ma faute si ça tombe sur ton perso xD

Je vois le petit monsieur presque dégoûté. Je souris, amusé ou satisfait, ça n’a pas d’importance. Ça me fait toujours rire de jouer un peu de l’humeur de ces humains de l’Est…Surtout des nobles et des bourgeois qui ne semblent pas connaître la dureté de la vie.

C’est la première fois qu’il vient ici. Je laisse échapper un rire roque et presque moqueur. Je m’en doute bien. Je n’ai jamais vu tel personnage ici, encore moins tenir dans cet endroit plus que quatre secondes. Une gueule aussi perdu comme le sien, je m’en serais rappeler…Oh oui. Car le vieux Kadear à la mémoire longue. Contrairement à ce que l’on en dit, l’alcool n’a aucunement affaiblie mes capacités mentales. Je me rappelle de la plus part des visages qui sont entrés ici depuis les 10 dernières années. Tandis que les autres dieux orgueilleux se rappellent des affronts qu’on leur a fait durant des siècles, moi je me rappelle de ceux qui me commandent à boire. Je préfère autant ça. Si je devais en vouloir à tout le monde pour quelques mots irréfléchis…La vie serait longue.

L’humain se nomme Tanneguy du Chastel…La famille du Chastel…Du Chastel…Non, définitivement, ça ne me disait pas grand chose…En supposant que l’on m’en a déjà parlé. Maintenant, j’aurais son visage gravé dans mon esprit bien que je sais que ce n’est pas réciproque. Les humains ont une si faible mémoire surtout pour les choses dites futiles de la vie qui sont, en fait, les plus importantes. De plus, j’aurais aussi son nom à l’esprit.

Aussitôt, une remarque quitte ses lèvres. Un conteur ?

-Si ce n’était que ça, je pourrais le renvoyer sans remord.

Je souris. Mais, mettre un client dehors, s’il paie, ce n’est pas dans ma politique. C’est bien dommage d’ailleurs. Je me mets à rire alors qu’il me propose avec une moquerie non-cachée ses services de conteur.

-Parce que vous croyez que j’en n’ai pas suffisamment de « véritables histoires » ici avec ce vieux bouffon ?

Je soupire, exaspéré. Les histoires de Kahal. À quoi bon me raconter ça ? J’y ai assisté moi ! Je suis vieux comme le monde et si je ne suis pas un guerrier, je suis un fidèle spectateur de ce monde. Si ce jeune homme croit m’impressionner car il sait lire et écrire, c’est qu’il ne sait pas qui je suis. Non seulement je ne suis pas un illettré, mais j’ai du voir plus qu’il a lu. Je pouffe de rire à nouveau.

-Avec mon âge et tous les voyages que j’ai fait dans ma vie, j’ai du voir plus de chose que vous savez en raconter.

Ma réplique ne doit pas vouloir dire grand chose pour lui puisque les voyageurs sont nombreux et qu’il en est peut-être un. De plus, je n’ai pas l’air d’avoir bien plus de 50 ans ce qui est très jeune comparativement à mon âge véritable. Ça n’a aucune importance, ce que pense ce jeune humain ne m’intéresse pas tellement.